Nourry et Filippetti : le groupe Lagardère et le gouvernement parlent d’une même voix


Et Ternoise leur met le net de le...

Lesechos.fr 8 octobre 2012 : analyse de texte d’une réponse

Quand sur Twitter l’information d’une interview d’Arnaud Nourry passa, j’ai immédiatement cliqué. Oui, je ne rate jamais une de ses interviews, et j’en suis presque toujours récompensé par une belle phrase qui me permet de posséder une connaissance correcte de ce patron !

Interview encore en ligne actuellement, page :
http://m.lesechos.fr/tech-medias/arnaud-nourry-hachette-livre-nous-avons-cree-un-ecosysteme-vertueux-sur-le-marche-du-livre-0202310259853.htm

Je me limiterais naturellement au droit de citation, donc à une seule question et sa magnifique réponse, qui ne fut malheureusement pas contrariée.

- Comment évolue le métier ? L’auto-édition est-elle une menace ?

- Nous sommes là dans le fantasme le plus total. L’auto-édition a toujours existé : ça s’appelle l’édition à compte d’auteur. Le numérique permet simplement d’en réduire les coûts. Tout le monde peut publier ce qu’il veut, on a toujours vécu avec ça. Mais notre métier c’est tout le contraire, c’est précisément de dire non, de sélectionner. Cela ne veut pas dire qu’on ne laisse pas passer de temps en temps de bons manuscrits. Il y aura toujours des exemples de succès auto-édités, après avoir été refusés par des éditeurs. Mais c’est oublier les millions de textes mis en ligne qui ne servent à rien. En outre, aucun auteur sérieux n’a décidé de quitter son éditeur pour s’auto-éditer. La plupart ont besoin d’un dialogue, d’un travail sur le texte, d’une relation avec une personne physique : affirmer que le numérique va tuer l’édition relève d’une méconnaissance absolue de ce métier. D’ailleurs, la question des droits numériques ne se pose pas dans la vraie vie : tous nos auteurs ont signé des contrats portant à la fois sur les droits papier et numérique. A nous de leur proposer des conditions attractives !

Petite analyse de texte :

Naturellement il convient d’extraire la perle : « l’auto-édition a toujours existé : ça s’appelle l’édition à compte d’auteur. » C’est même l’objet de ce livre.

« Nous sommes là dans le fantasme le plus total  » ne vous rappelle rien ?

Appréciez : « Pourtant, je crois qu’une industrie culturelle aussi complexe que la vôtre ne pourra pas reposer sur ce nouveau modèle [celui de l’auto-édition]. Je ne partage pas ce point de vue et je crois qu’il est utopique. »
Envolée d’Aurélie Filippetti, ès ministre de la Culture, le 28 juin 2012, à l’Assemblée générale du SNE (le Syndicat National de l’Edition, en fait le syndicat des éditeurs traditionnels ; si l’édition inclut les éditeurs, les éditeurs traditionnels ne sont pas l’édition même s’ils en ont parfois la prétention)
Antoine Gallimard, le même jour au cocktail : « c’est un peu un mirage ! »
Fantasme, utopie, mirage.

Passons à «  notre métier c’est tout le contraire, c’est précisément de dire non, de sélectionner. »
Et admirons : « Tous les textes ne sont pas des livres et c’est précisément à l’éditeur que revient de faire le partage ; c’est lui, qui, devant la multitude des textes, doit porter la responsabilité de savoir dire non, quitte à, parfois, commettre une erreur.
Il n’y a pas de livre sans éditeur ; l’éditeur distingue la création, puis il l’accompagne, il la promeut, il la publie ; il favorise sa circulation. ». Selon Aurélie Filippetti, toujours le 28 juin 2012.

Un document du SNE, “Le livre numérique : idées reçues et propositions”, diffusé au salon du livre de Paris le 17 mars 2009, façonnait l’approche en prétendant « « Plutôt discret et en retrait derrière ses auteurs, l’éditeur a pourtant un rôle crucial : il sélectionne et « labellise » les œuvres en les intégrant dans un catalogue, un fonds, une marque reconnus par les lecteurs ; il apporte une contribution intellectuelle (« création éditoriale ») importante ; enfin il s’engage à exploiter commercialement les œuvres de manière continue (vente de livres, de droits dérivés, etc.). »

Quant à « Cela ne veut pas dire qu’on ne laisse pas passer de temps en temps de bons manuscrits. » On le retrouve dans le "c’est à l’éditeur que revient de faire le partage ; c’est lui, qui, devant la multitude des textes, doit porter la responsabilité de savoir dire non, quitte à, parfois, commettre une erreur" d’Aurélie Filippetti.

Tout aussi significatif : « La plupart [des auteurs] ont besoin d’un dialogue, d’un travail sur le texte, d’une relation avec une personne physique.  » Un peu plus long : « L’éditeur a un rôle éminent dans le processus de création. C’est une question passionnante. Et sans entrer dans un débat philosophique sur le processus de création, quand on écrit, chez soi, on a besoin d’avoir le regard d’un éditeur, pour venir sanctionner, dans le bon sens du terme. C’est-à-dire, donner le jugement d’un professionnel, sur le texte que l’on est en train de rédiger. Et sans cela, même si on se publie soi-même, et que l’on peut toucher un public au travers des réseaux, on n’a pas cette reconnaissance de se sentir écrivain. L’écrivain ne naît qu’au travers du regard de l’éditeur. Et moi je l’ai ressenti en tant qu’auteur : j’aurais pu écrire le même livre que celui que j’ai rédigé, si je n’avais pas eu Jean-Marc Roberts, le résultat n’aurait pas été le même. » D’Aurélie Filippetti, le même jour mais après discours, au cocktail, propos recueillis par Nicolas Gary pour un site Internet où mon approche ne semble pas la bienvenue… même s’il fustige parfois les installés.

Sur « Affirmer que le numérique va tuer l’édition relève d’une méconnaissance absolue de ce métier. » Retour au document 2009 du SNE. Posant l’affirmation « On pourra se passer d’éditeur à l’ère du numérique », le SNE répondait « cette idée reçue provient d’une méconnaissance du métier et de la valeur ajoutée de l’éditeur. » 2009 - 2012, une certaine continuité !
Pour sourire de « Mais c’est oublier les millions de textes mis en ligne qui ne servent à rien », la réalité étant maquillées derrière un nuage de fumée, il semble approprié de lire « Le pilon, ce que nous en savons. » Un livre de Thomas de Terneuve, sous-titré : « des millions de livres détruits sur ordre des éditeurs. »
L’économie du livre papier génère un immense gâchis : environ cent millions d’exemplaires finissent chaque année au pilon, sur ordre des éditeurs, au grand désappointement des écrivains.
Dans les économies liées au passage à l’édition numérique, bizarrement, les éditeurs préfèrent ne pas aborder le dossier pilon. Certes, parler des invendus, ça ne se fait pas !
Pilonner : terme traditionnel pour signifier la destruction d’un livre invendu.

Monsieur Nourry a donc le regard sélectif sur ce qui ne doit pas s’oublier...

Un arrêt sur « En outre, aucun auteur sérieux n’a décidé de quitter son éditeur pour s’auto-éditer. »
Le SNE avait même un contre-exemple « Stephen King a tenté l’expérience de vendre directement ses livres en ligne. Devant l’échec complet de sa tentative, il est revenu vers son éditeur… »
En France, Marc-Édouard Nabe revendique ce statut d’auteur quittant ses éditeurs pour s’auto-éditer. Quant à moi, je m’auto-édite par convictions depuis 20 ans... donc je n’ai quitté aucun éditeur ! Fidèle à mes idéaux de jeunesse ! (Liberté, j’ignorais tant de Toi, fut mon premier roman)
Abordons « D’ailleurs, la question des droits numériques ne se pose pas dans la vraie vie : tous nos auteurs ont signé des contrats portant à la fois sur les droits papier et numérique. A nous de leur proposer des conditions attractives ! »
Aurélie F. peut prétendre avoir été entendue : « je crains que vous n’entriez dans l’ère du soupçon pour n’avoir pas été assez audacieux sur le niveau des rémunérations servies aux auteurs en matière de droit numérique. Les taux sont trop faibles, à l’évidence, et avivent le désir des auteurs de négocier séparément l’exploitation papier et numérique ; vous savez, comme moi, qui se tient en embuscade. » (son grand discours 2012)

« Conditions attractives », ils semblent posséder une bonne marge... si l’on en croit David Assouline, au Sénat, le 29 mars 2011, qui analysait : « Avec le livre numérique, l’éditeur touchera sept fois plus que l’auteur ! » (il s’agit d’un sénateur socialiste et non d’un élu anarchiste !)

La note d’analyse gouvernementale 270, mars 2012, « Les acteurs de la chaîne du livre à l’ère du numérique - Les auteurs et les éditeurs » notait : « Simultanément diffuseur, distributeur, éditeur et propriétaire d’une solution technologique qui domine très largement le marché des liseuses, Amazon bénéficie d’une force de frappe commerciale redoutable, grâce à laquelle sa branche édition pourrait bien offrir aux auteurs des conditions de rémunération nettement plus attrayantes que les éditeurs traditionnels. »

Donc, les auteurs signent pour l’édition papier et numérique, sans exception ?! Quel beau pays que la France !
Le Bief, Bureau international de l’édition française, organisme chargé de promouvoir l’édition nationale à l’étranger, a présenté le 7 mars 2011 une étude intitulée « Les achats et ventes de droits de livres numériques : panorama de pratiques internationales. » Il semblait conseiller nos éditeurs : « la politique du tout ou rien que pratiquent plusieurs maisons anglo-saxonnes, consistant à refuser d’acquérir les droits papier si les droits numériques ne sont pas inclus, semble être efficace par son caractère dissuasif. »
Face au "tout ou rien" d’un éditeur, comment doit réagir l’écrivain ? C’est donc sûrement la vraie information de ce paragraphe : si « tous nos auteurs ont signé des contrats portant à la fois sur les droits papier et numérique », Hachette pratique la politique du tout ou rien !... Sinon, il y aurait bien deux exceptions ! Monsieur Nourry ne manquera sûrement pas de réagir à ma conclusion contribution au débat ! A moins que ses conditions soient tellement favorables qu’elles ne puissent être refusées ?... ce qui n’est pas certain... En lisant son commentaire sur l’activité 2011 : « Un des défis principaux de l’année consistait à sauvegarder les marges dégagées par les activités numériques pour que la rentabilité globale de Hachette Livre ne souffre pas de la contraction du chiffre d’affaires induit par les prix de vente des e-books (inférieurs de 30 % en moyenne à celui de leurs équivalents imprimés), alors que ceux-ci mordaient largement sur le marché des livres traditionnels.
Le "découplage" entre le chiffre d’affaires et les marges en numérique a été effectué avec succès. »
Avec un prix inférieur de 30% pour l’ebook par rapport à la version en papier, Hachette conserve des marges appréciées des actionnaires. Les auteurs apprécient ? Ont le choix ?

Encore une petite déclaration pour éclairer le sujet : quand Hachette Livre et Google ont signé un protocole d’accord pour la numérisation, par Google, d’oeuvres indisponibles du catalogue Hachette, Vianney de la Boulaye, directeur juridique de Hachette Livre, fut interrogé par Amélie Blocman pour LÉGIPRESSE n° 278 - décembre 2010.
Une question cruciale fut posée :
- La numérisation et la commercialisation des ouvrages ne pourront concerner que ceux dont Hachette détient les droits numériques. Êtes-vous à ce jour titulaire de ces droits ?
Réponse :
- Le contrôle des droits par Hachette de ses auteurs est primordial. Bien sûr se pose la question de la titularité des droits numériques par Hachette, qui est une condition pour pouvoir rentrer dans le cadre du protocole d’accord. Hachette va devoir revenir vers certains auteurs ponctuellement et réfléchit actuellement à comment “régulariser” au mieux. De même, dans certains contrats antérieurs à la loi de 1957, il n’y a pas de cession de droit. La gestion collective obligatoire est un recours imparable, mais elle ne sera pas mise en place avant 2012-2013… Cependant, la gestion collective volontaire des droits d’auteur peut être envisageable, c’est d’ailleurs une hypothèse étudiée.

Où l’on voit que les droits numériques sont au coeur du travail d’Hachette, un enjeu majeur. Sur ce point, on ne peut que constater la véracité de leur raisonnement. Mais les auteurs ont-ils toujours mesuré la portée de leur signature ? Certes, entre un refus d’éditeur et une signature papier-numérique, quel auteur peut se permettre de claquer la porte Hachette ?

En résumé : Nourry - Filippetti : le groupe Lagardère et le gouvernement parlent d’une même voix, presque une pensée unique ! Etonnant ? Rassurant pour la France ? Pour la compagne du Président normal Hollande, journaliste à Paris-Match, du Groupe Lagardère ? Inquiétant pour les écrivains. Comment être entendu quand on a l’impression que dans les discours la ministre de la Culture et le patron du premier groupe d’édition sont interchangeables ?

Quant aux trois mousquetaires de la recherche du temps perdu, enfin de la vérité, les trois journaliste des ECHOS, David Barroux (rédacteur en chef), Alexandre Counis (chef de service) et Anne Feitz (journaliste), ils pourraient ressentir la désagréable sensation de n’avoir été qu’un plan de communication d’un grand patron… Trois pour cela ! Mais naturellement, tout journaliste sait que son support peut être racheté par Lagardère ?…

L'auto-édition ce n'est pas du compte d'auteur, cher monsieur Arnaud Nourry, PDG Hachette Livre. Voir la page du livre
auto-édition et Arnaud Nourry groupe Lagardère



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